Jabadao

Ce bateau est rentré tout récemment dans la collection d’Amerami.
Il nous a été remis par Messieurs Renaud, Maxime et Raphael Vitrac.Il était dans leur famille depuis trois générations et avait fait leur bonheur. En prenant contact avec nous ils ont voulu lui donner un avenir.

C’est maintenant Philippe Bonvarlet qui en est l’exploitant.

Numéro CIN : 03423008002, X4776
Année de construction : 1942
Genre à l’origine : plaisance
Architecte : Dervin
Chantier constructeur : Jouet à Sartrouville en 1942
Propriétaires :
Hubert VITRAC (en 1973),
Renaud et Richard VITRAC (1981),
Renaud, Maxime et Raphael VITRAC (en 2009),
Amerami

Renaud Vitrac nous livre ici quelques souvenirs :

Les parents regardent Jabadao sortir de la rivière du Vincin, Conleau par une jolie brise d’est, la jeune génération est à la manœuvre .

On pouvait encore faire ça dans les années 70/80 et les connaisseurs devineront que notre cap ne nous aligne pas sur les balises du bout de la grande cale, oui c’est deux là ,balises qu’il fallait aligner alors pour être sur d’être dans le chenal : la marée avait du nous permettre cette fantaisie !

Mon Père l’acheta en 1973 pour je crois une somme de 8000 F ; il avait 31 ans et reposait alors sur le flanc sur la vasière entre les deux cales de Conleau : la petite cale et la cale des douaniers au niveau de la piscine d’eau de mer , anciennement la grenouillère. Mon Père lui trouva fort belle allure et l’on était d’accord : avec une telle allure il devait bien marcher !

Mais il était en piteux état et il fallu refaire la cloison intérieure et plastifier le pont, auparavant latté avec des joints probablement en braie ; on y passa l’été, à trois : mon Père, mon frère et moi. Nous travaillons en plein air, l’estran était encore accessible et le bateau béquillé à la petite cale en face chez Mimi. Patrick Legal, ami de toujours depuis le lycée, participa en ponçant énergiquement le roof pour préparer son entoilage. Il habitait alors derrière chez Mimi, aujourd’hui le Corlazo. Apparemment les ingrédients utilisés pour le plastifier étaient bons et le travail aussi car de l’avis de Patrick Lobrichon, le charpentier bien connu des amateurs de bateaux en bois, le travail a bien résisté au temps!

Autre détail, il s’appelait Menezic, du nom de la pointe sud est de l’île d’Ars, où le précédent propriétaire, dont le nom m’échappe, avait une maison de famille.

C’était à l’époque un bateau de taille respectable, rares étaient les ceux qui dépassaient les 10 m et les croisières en haute mer n’étaient pas encore à la mode, même s’ il y avaient d’assez grosses unités, surtout des Cornu, 7,5 m et 10,50 m . Des particuliers dont mon oncle P. Dalido, ostréiculteur à Aarradon , Jégat aujourd’hui, avaient modifiés des sinagots en les pontant et en les aménageant pour en faire des bateaux de croisière.

Il était tel qu’aujourd’hui sauf qu’il avait un moteur fixe, déporté, l’arbre de propulsion passait par un bulbe accolé alors au niveau de l’étambot ; moteur puissant, un Couach diesel au retour de manivelle « mortel » et dont l’étincelle produite par la Dynamo faisait un petit cm !!
Il filait certainement 7 à 9 noeuds quand il était poussé un peu.

Les vibrations induites par ce moteur étaient intenses et l’on s’en sépara fin des années 70 pour le remplacer par un HB . On conserva, sur les conseils de Patrick Lobrichon, tous les renforts type varangue sur lesquels était fixé le Couach : car, qu’on se le dise, ça pourrait bien resservir un jour !
Il fallu donc installer un balcon arrière pour porter et fixer la chaise. Ce balcon n’est donc pas d’origine mais construit suivant les plans du frère, ingénieur. Le HB : un 7 cv Crescent (société aujourd’hui disparue, absorbée probablement par Volvo) avec arbre extra long .

Au cours des années on changea pas mal de choses et à commencer par la mèche de gouvernail qui passa à l’inox ; on omit cependant d’usiner dans la tête de mèche le logement de la clavette qui aurait permis de barrer le bateau à la perfection. Les cadènes, changées derrière chez Roland à Conleau (le photographe officiel) par une bise glaciale de Nord, montées à l’extérieur de la coque pour des raisons de facilité de pose : tout ce qui était ferraille et remplaçable fut remplacé par de l’inox; on faisait tout nous même quand fin des années 70, le copain ostréiculteur, Patrick Legal, nous orienta vers Patrick Lobrichon pour des gros travaux, mes parents passèrent alors un gros mois au Parun dans son chantier, pour tomber le saumon, changer l’ensemble des varangues, faire quelques travaux d’entretien de la coque et repartir d’un bon pied : on ne faisait plus d’eau par les fonds, merveilleux progrès !

On faisait alors de la croisière côtière et une batterie permettait d’avoir les feux de sécurité pour pouvoir, en cas de besoin, se déplacer la nuit.
L’éclairage intérieur était succinct: une lampe à pétrole permettait de distinguer ce que l’on faisait : le cirque était de l’éteindre , car à l’aplomb du mât, elle était haute et fort loin des têtes de couchettes, or il fallait souffler … fort. Les couchettes étaient généralement suffisantes même si dans de rares occasions on alla jusqu’à 5 ou 6.

La cuisine était minimaliste et le réchaud à gaz sur support ad hoc, toujours la, nous servit avec fidélité, essayez les filets de maquereau cru marinés dans l’huile d’olive avec une larmichette de vinaigre !

On se baladait sur la côte sud de la Bretagne, on ne dépassa pas Concarneau.

Après avoir changé les winchs sous-dimensionnés à l’origine , je fis venir de GB des GIBB, pas de winch en bronze en France à l’époque. Il fallu aussi changer la garde robe. Les voiles en coton étaient foutues et par deux fois elles se déchirèrent , la GV jusqu’au pied du mât après que je l’eus bordé très serré pour éviter de me mettre à la côte sur Er Lannic, après avoir heurté une caillasse pour être passé trop près de la côte… vent portant SO force 2/3…peine perdue manœuvre trop tardive, on lofa droit sur Er Lannic !

Le petit foc me resta aussi dans les mains en baie de Kerdelan, au retour du Parun, force 5 NE en mars, glacial…en lambeaux.

Un essai de voile avec la voilerie Leport à Vannes laissa de mauvais souvenirs, le voilier qui fit le travail (de St Malo, plaida misérablement X. Leport, paix à son âme) reproduisit bêtement sur du Tergal les cotes de la GV en coton sans tenir compte du delta d’élasticité des 2 matériaux : nul !! La chute de GV trop courte éclata l’extrémité de la bôme et la gorge dans laquelle on la glissait à l’époque. On installa aussi pour remplacer la gorge du mât de la GV et l’on équipa la voile de coulisseaux…

Ce fut alors Sails Concept qui refit la garde robe actuelle mais pas le spi qui a donc plus de 50 ans.

A l’initiative de notre charpentier déjà nommé fut remplacée la bôme à rouleau par une bôme à ris système qui a l’avantage de moins déformer la voile quand on la réduit beaucoup (11 tours pour 2 ris). Patrick procéda aux modifications que l’on voit aujourd’hui.

Bon an mal an, nous aimions donc nos petites croisières, Belle Isle , Houat, Hedic , Groix ( plus rarement) et de temps en temps une régate, les organisateurs ne savaient jamais dans quelle catégorie nous mettre…plates à dérive ? habitables…

Patrick changea les barres de flèche qui de banales devinrent bijoux ! l’une d’elle avait été cassée par un plaisancier qui nous avait abordé alors que l’on était mouillé à la pointe de Houat en face des Beniguets , dans la petite anse bien protégée bien connue des plaisanciers. Il montra bien peu d’enthousiasme pour se signaler quand nous revînmes du bourg de Houat après un déjeuner festif.  Grâce à Dieu il y avait d’autres bateaux témoins. La bonne humeur disparut pour quelques heures car il nous fallut rentrer au Parun et interrompre la croisière: les jeunes étaient déçus !

Et puis mon Père disparut ,c’était lui qui menait la barque si je puis dire, il connaissait bien la voile et savait bien travailler de ses mains et je me retrouvais 1er de cordée .

Alors Jabadao repassa au début des années 2000 un gros mois chez Lobrichon, j’étais arpète et passais le bateau au peigne fin. Il fallait commencer par l’arrière et dès que je voyais un problème, je sollicitais Patrick, puis décider ensemble de la marche à suivre : ce furent de très, très bons moments !

Les points de tire des étais AV et AR furent changés et noyés dans la charpente suivant les règles de l’art.

On revit et refit donc les listons, le pavois fut changé, tout acajou évidement. On remplaça les rivets Cu qui le méritaient et Patrick flipota les bordées qui le nécessitaient ! On n’oublia pas les hublots et ceux là furent refaits; son assistant de l’époque, Pascal B., travaillait très bien, il refit la tête de mât à l’époxy avec bonheur.

On refit aussi le support de mât, l’arceau qui, en ferraille, avait bien rouillé et dont la solidité était alors insuffisante, les haubans mous c’est pas terrible ! un arceau en inox en T fut ployé et placé sous le roof au niveau du mât,  la solution de l’épontille ayant été rejetée : heureusement Patrick savait tout faire, le bois ça va sans dire, l’utilisation de la colle à base d’epoxy, je lui dois tout de mon petit savoir dans ce domaine, l’inox, il fallait bien et mème la soudure, d’ailleurs un des chandeliers s’enquille sur une embase en inox faite par Patrick.

On le remis à l’eau , avec une pompe svp pendant 24 heures pour éviter qu’il se remplisse d’eau et puis le bois gonfla …

Il continua de naviguer , petites sorties vers Houat et lors l’une d’elle , un craquement sinistre nous interpella . Nous étions entre Port Navalo et Locmariaquer en plein courant avec Patrick ,l’ostréiculteur et ami était à la barre , Anik au vent et moi aussi. Le mât majestueusement et lentement tomba sous le vent arrachant au passage les haubans et cassant un ridoir ; on se regarda tous les trois et on éclata de rire : on savait que ça aurait pu être dramatique, on avait eu de la chance. Le tout fut récupéré péniblement : mât, grand voile, génois et haubans. Heureusement Patrick 1,90 m, grands bras et costaud , était de surcroît un très bon marin. un coup de moteur plus loin et l’on était sur la plage de Port Navalo ; c’est Gilbert , patron du T’y Me Zad , la dernière pinasse de Conleau, qui nous ramena ,sans entrain ajouterais-je, au bercail.

Je pataugeais pour réparer , essayais, proximité oblige, le charpentier de chez Caudard, qui parlait tenon et mortaise alors que je voulais entendre «scarf » … du coup on ramena le mât au Parun et Patrick fit la réparation : diagnostic, l’eau s’était accumulée dans le sabot en métal dans lequel le pied de mât repose et, mal drainé, avait pourri celui ci. Notre ami y remédia en dotant le nouveau sabot inox d’un drainage approprié !

Le dernier grand carénage, c’est mars 2019, reprise d’ un peu tout et avec Henri, le frère de Patrick, l’ostréiculteur, on s’attela au capot de roof qui ne fonctionnait plus depuis longtemps, arguments sur la géométrie du capot et des rails le supportant et décision finale de refaire les roulements chez un spécialiste ABMECA à Plescop, Henri dressa les plans, heureuse habitude d’ingénieur ancien patron-fondateur de Sigmaphi à Vannes et l’on termina par deux jours au mouillage dans le port de Vannes, près de la petite maison rose pour peaufiner deux tiers des choses que nous avions laissé passer chez Caudard. Maxime, un des copropriétaires, prêta main forte à ce grand carénage, le dernier.

Voilà Jabadao était près pour naviguer encore…

Les plus jeunes en profitèrent bien au cours du temps mais aucun ne mordit suffisamment pour prendre la succession, et Raf, celui de la Réunion, était bien loin pour prendre les choses en main.

MEUDON le 23 septembre 2020