Le sablier à la mer, une nécessité vitale
De nos jours, le « Global Positioning System » ou GPS, système de localisation à l’échelle mondiale permet, grâce aux satellites, de se situer n’importe où sur le globe et la vie des marins et des sous mariniers en a été considérablement simplifiée. Précédemment, la goniométrie avait, dans certains secteurs maritimes, permis de se caler pour garder un cap. Un mot d’explication sur cette méthode de navigation radioélectrique la plus ancienne basée sur l’utilisation des propriétés directives d’un cadre aérien utilisé à la réception, laquelle est maximale lorsque le plan de ce cadre passe par l’émetteur dont il définit alors la direction. Très utiles en navigation côtière, d’autres systèmes, comme le Loran ou le Decca étaient basés sur le même principe.
Mais, avant ces temps modernes, le sablier était un élément fondamental à bord avant même que ne soit utilisée la technique particulière dite de « la navigation à l’estime » instaurée dès l’apparition des premières cartes. Imaginons l’angoisse des marins faisant route de nuit, voire en plein brouillard, sans même avoir la moindre idée précise de l’endroit géographique où ils se trouvaient… et revenons à la façon dont les marins tentaient de se localiser sur une mer sans le moindre horizon.
L’affaire n’est pas aisée et commence même avant d’avoir levé l’ancre ou quitté le port, avec la détermination préalable et empirique de la route à faire pour aller vers un point précis et du cap à prendre avec les prises en compte par supputation d’un bon nombre de données variables : le courant, fonction d’une éventuelle marée, la direction du vent qui détermine les changements de cap, en particulier lorsque l’on navigue contre le vent (vent debout), la dérive du bateau due à l’action du vent sur les superstructures, le fardage. Certains de ces paramètres sont modifiables à tout moment, voire même brutalement : le vent peut tomber, forcir et/ou changer de direction. Subsistent encore d’autres facteurs tels que l’état de la mer, le vent apparent, voire même la déclinaison magnétique, variable d’un point de l’océan à l’autre,… Selon l’adage et pour les marins « le danger est à la côte » et afin, par‐dessus tout, d’éviter les écueils, l’essentiel pour le navigateur en route consiste à estimer, du mieux qu’il soit possible, sa position géographique réelle par rapport au fond.
Or, seul à l’époque, le sablier permettait de calculer le temps écoulé et la vitesse apparente du bateau sur la surface de l’eau, tous deux nécessaires à prendre en considération pour calculer la distance prévisible parcourue. On obtenait ainsi une longueur, reportable sur la carte. Restait aussi à prendre en compte les différentes directions successivement empruntées. Distance et direction étaient ainsi les deux composantes régulièrement reportées sur la carte sous forme de ligne brisée, dont le point final était censé représenter la position estimée du navire par rapport au fond.
Imaginons un seul instant, par nuit noire, que soudain le vent refuse et qu’il faille obligatoirement virer de bord : il devient alors indispensable de pouvoir compter le temps pendant lequel le navire va suivre cette nouvelle direction pour la reporter en estimation sur la carte. Ceci sera impossible à faire sans un calculateur de laps de temps : un sablier. Difficile à établir de façon rigoureuse, cette méthode entrainait parfois de larges erreurs, raison pour laquelle, dès que cela était possible, on sortait, utilisables par seul beau temps, certains instruments pour tenter de redéfinir la position grâce au Soleil, le jour, ou à la Lune et aux étoiles, de nuit. L’heure locale était donnée par la nature : par des tables de lever et coucher du soleil selon les latitudes données aux marins, dès le XVIIe siècle. Plus précieux encore, le passage méridien du soleil fournissait l’heure de midi locale. Mais si les cadrans de hauteur, anneaux équinoxiaux et nocturlabes pouvaient indiquer un moment précis, seuls les sabliers, quelle que soit la visibilité, permettaient de fixer l’indispensable mesure du temps à bord.
Notons, au passage, que la tradition voulut que, jusqu’à la fin du XIXe siècle, on vivait à bord des navires à l’heure solaire c’est‐à‐dire à l’heure du midi vrai. A cette époque, l’heure de la culmination de la méridienne servait à piquer, sur la cloche de bord, les quatre coups doubles du changement journalier de l’heure. On pouvait alors, avec un autre jeu de sabliers, en profiter pour réajuster l’heure du bord qui servirait ensuite à rythmer les quarts et la vie à bord. Par la suite, en 1911, la France se rallia à l’heure des fuseaux proposée pour la première fois par Sir Standford Fleming en 1884. Les changements d’heure à bord se Girent par unité entière sans tenir compte plus avant de la valeur journalière de la progression en longitude, le passage d’un fuseau à l’autre se faisant en avançant ou retardant d’une heure pendant la nuit à raison de vingt minutes à chaque quart.
Quoiqu’il en soit, l’apparition des montres marines et des garde‐temps permettra à la fois de donner l’heure de référence de Greenwich et de mesurer les durées. Au départ, principalement utilisées pour remplacer la méthode compliquée des distances lunaires dans la détermination de la longitude, les montres sonneront le glas de la nécessité de la présence de sabliers à bord et, ceci dès la fin du XVIIIe siècle.
Les sabliers de Loch
La fonction de cet autre type de sablier est celle de pouvoir estimer la vitesse d’une embarcation, essentielle en navigation. Préconisée par les manuels hollandais dès le XVIe siècle, la méthode la plus ancienne consistait à envoyer dans l’eau par l’avant une petite bûche accrochée à un filin léger. Lorsque celle‐ci touchait l’eau, le matelot faisait un grand signe à un collègue, situé à l’arrière du bateau, qui retournait un petit sablier lequel comptait le temps écoulé jusqu’au passage de la bûche à sa perpendiculaire. Ce marin disposait, en fait, de plusieurs sabliers de différentes durées et utilisait celui qui se rapprochait le plus du temps de parcours de la bûche. L’opération réussie, le matelot de proue hâlait la bûche pour la récupérer pour l’essai suivant. Une simple règle de trois, fonction de la distance connue du positionnement des hommes sur le navire, donnait une indication de la vitesse apparente de l’embarcation. Nombreuses étaient cependant les sources d’erreurs, parmi lesquelles on peut signaler : le lancer de la bûche trop en avant ou trop en arrière, l’impact avec l’eau mal topé, une dérive au vent, un entraînement par le sillage, un retour de la bûche sur le dos d’une vague, une mauvaise appréciation du passage à la perpendiculaire.
Il fallait donc arriver à une précision meilleure et c’est ce qui fut fait au XVIIe siècle avec le loch à bateau qui, comme le précédent, nécessitait l’utilisation d’un sablier. Il s’agissait d’un flotteur en forme de triangle sphérique lesté et placé au bout d’une ligne, elle‐même enroulée sur un touret maintenu par un matelot à l’arrière du bateau : le touret était maintenu haut levé pour que la ligne file librement. Cette ligne portait différentes marques dont la première par rapport au Flotteur était un repère constitué par une bande de tissu, « la houache » située à une distance grosso modo équivalente à la longueur de l’embarcation afin d’éviter les remous du sillage. Des divisions sous forme de nœuds dans la cordelette se succédaient au départ, les uns des autres, à 15,43 m (le 120e du mille marin qui est de 1,852 m). Autant de nœuds en 30 secondes (120e partie d’une heure), autant de milles marins à l’heure.
Dans la pratique, on jetait le flotteur à la mer et on laissait dérouler jusqu’à ce que la houache arrive dans les mains d’un second matelot. Au moment précis où ce dernier commençait à laisser filer, un mousse retournait le sablier tandis que le matelot comptait les nœuds passant dans ses mains, prêt à arrêter brusquement la ligne lorsque le mousse annonçait la Gin du sablier. Le nombre de nœuds passés correspondait à autant de fois la vitesse d’un mille nautique à l’heure. L’inconvénient du procédé restait que le loch à bateau ne donnait qu’une vitesse instantanée, il fallait laisser filer toutes les heures pour faire une moyenne des vitesses observées. Peu à peu on chercha à réaliser des compte‐tours qui permettraient d’indiquer le chemin parcouru, ce qui fut fait vers 1850 avec une hélice dont le nombre de tours enregistré est traduit en milles parcourus sur un écran. Ce type de loch est toujours obligatoire sur les navires au commerce. Quant aux sabliers de loch, de 15, 30 ou 60 secondes, ils étaient encore à l’inventaire des navires de la marine de guerre au milieu du XXe siècle.
Habituellement, les verres étaient remplis de sable et chronométrés pour une période de 14 ou 28 secondes. Cet exemple est un modèle expérimental qui a été rempli avec du mercure au lieu de sable et qui pouvait être utilisé pour les deux temps de 14 et 28 secondes, d’où les deux numéros sur les ampoules. Le nom du fabricant est inscrit sur la base : « W & S Gilbert à Londres, fabricants d’instruments de mathématiques pour l’honorable Compagnie East India », ainsi que l’inscription «Jennings BREVET», se référant à Henry Constantine Jennings (réf. 11).
.Dominique DELALANDE