Rose-Hélène

Le bateau dans son contexte historique :
Exilée puis oubliée pendant quinze ou vingt ans dans un hangar à Caen, c’est en octobre 2007 qu’une équipe de toulonnais est venu me chercher pour me ramener au pays de mes jeunes années. Il faut avouer que les dites jeunes années sont un peu loin, je suis en effet née en 1934 des œuvres d’un charpentier de marine nommé Castellan et, on prétend, car je ne m’en souviens plus très bien, que c’était à St Tropez.
À cela deux raisons prétendent mes nouveaux protecteurs. Le seul charpentier de ce nom connu dans la région sévissait dans la cité du Bailli. De plus, ils ont retrouvé un bateau qui me ressemble comme deux gouttes d’eau, bien qu’un soupçon plus grand que moi (5,85 m au lieu de 4,60 m) mais je pense que c’est une cote hors tout) et de quatre ans plus jeune, construit par un dénommé Castellan à St Tropez! Surprenant, je ne doutais pas faire partie d’une grande famille, mais je pense bien en être la dernière survivante. Et voilà qu’on me trouve un « sister ship » comme on dit de l’autre coté de la Manche. Et c’est pas tout. Mon port d’attache c’est Sanary! C’est pas rien ça, imaginez un port en pleine ville avec que des vieux gréement sur le quai principal. C’est le seul port de la côte qui fasse ça et, depuis que Saint Tropez à changé de capitaine c’est là, à Sanary, que se tient chaque année le plus grand rassemblement de bateaux du patrimoine.
Il paraît que cette année il y aura des Italiens. Bien que je fasse partie des plus anciennes, la majorité des bateaux datent des années 50 voir 60, je vais pas faire la fière. Mais, malgré leurs voiles latines et leur six ou sept mètres de long, je suis sûre d’avoir fière allure pour recevoir les gars d’AMÉRAMI ».

La restauration :
Depuis que je suis de nouveau toulonnaise mes nouveaux patrons me font fait subir toutes sortes de traitements. Ils commencent par me mesurer, me jauger, me photographier et, on finit par sortir mon plan de forme! Rien que ça! Le père Castellan n’en croirait pas ses yeux lui qui, comme tous ses confreres de l’époque, construisait sans plan, avec seulement le gabarit de Saint Joseph. Ensuite ils me font une toilette dans les règles, un peu dur à supporter. Grattée, brûlée, poncée, je n’ai plus grand chose à cacher au charpentier à qui il est décidé de me confier, un certain Jean-François Marhic. Celui-là, il m’a gardé trois mois dans son chantier de Bandol, et croyez moi, pas pour rien. Il a décidé de me refaire une jeunesse et je vous garanti qu’il y a fort à faire! Membrures, bordés, étrave, étambot tout y est passé. Calfatée à neuf, mastiquée et « miniummée », il prétend me faire gonfler et j’ai retrouvé les eaux de ma Méditerranée natale. Ils m’ont de nouveau mise au sec et j’ai eu droit à une mise en peinture suivant les règles. Ponçage, minium, sous-couche, première et deuxième couche, mise en place d’une ligne d’arbre et d’une hélice toute neuve, même moi je ne me suis pas reconnue.
Et puis, ces gars là, ils ont la bougeotte, ils m’ont remise sur leur remorque et j’ai fait mon entrée à Toulon, au Club Nautique de la Marine où ils m’ont remise à l’eau (ayant décrété que je n’avais plus le droit de sécher).
Depuis, c’est une autre équipe qui est venue me poser un superbe moteur, un Yanmar mono-cylindre diesel de 8 cv qui me permet, lors des essais, d’atteindre 4,5 noeuds et de revoir cette bonne vieille Tour Royale à l’entrée de ma superbe Rade de Toulon.
Aujourd’hui, nous en sommes là, mais je les écoute parler, ils n’en finissent pas de me choyer. Ils m’ ont équipé d’un gréement à tarquier comme ceux qui existaient dans ma jeunesse à Saint Tropez et au Lavandou. Vous savez comme ceux décrits par François BAUDOUIN dans son ouvrage « Bateaux des côtes de France ». Ils ont déjà trouvé le mât, le balestron et un superbe bout-dehors. C’est le gréement traditionnel de la petite pèche dans le golfe de Saint Tropez à l’époque où je fus construite.

L’activité :
C’est ainsi qu’ au mois de mars 2009 je suis alors accueillie par le Club nautique de la Marine à Toulon, le temps de procéder à quelques essais à la mer qui se sont avérés satisfaisants. Puis, le 15 avril , profitant d’une magnifique journée et d’une mer belle j’ai transité de Toulon à Sanary , doublant ainsi sans encombre le redouté cap Sicié pour rejoindre la flotte de mes quatre vingt congénères déjà installés dans ce port où ils font toute l’année l’admiration des touristes . J’ai trouvé ma place dans la vieille darse au pied de l’antique tour carrée . Il y a moins d’un mètre d’eau aussi aucun gros ne viendra me gêner . Quelques membres d’Amérami ont pu naviguer dans ces conditions depuis lors dans la rade de Sanary et jusqu’aux Embiez.

L’exploitant :
Pour l’instant le bateau est sous hangar pour un entretien long et important.


Le Tarquier de Saint Tropez
par François BEAUDOIN dans « Bateaux des côtes de France ».
Au début de notre siècle, le « Tarquier » est utilisé de Saint Tropez à Hyères. Le mot de tarquier est passé du type de voile dont le bateau est équipé au bateau lui même, en italien « a tarchia » signifie à livarde. Le tarquier est un bateau symétrique assez large, aux formes pleines, dont la construction est relativement lourde; il possède de ce fait une stabilité latérale qui lui permet de porter une voilure plus importante que les bateaux précédents. Le tarquier est issu d’un modèle plus ancien, proche de la felouque, qui, plus fin est plus léger que lui, c’est à dire mieux adapté à la propulsion à l’avirons dont deux très belles aquarelles de Roux, conservées au Peabody Museum nous ont transmis le souvenir.
La distance évolutive qui sépare ces deux bateaux a été parcourue à cause de la nécessité de réduire les équipages afin d’améliorer le rendement de la pêche devenue progressivement insuffisant pour faire vivre de nombreux rameurs; tous les petits bateaux côtiers de pêche que nous verrons maintenant se sont transformés de cette façon au cours du XIX ième siècle. Ces transformations sont le reflet nautique du renchérissement général du prix du travail humain; elles ont été rendues possibles grâce au rétablissement de la sécurité sur les mers. Le tirage à terre se fait désormais au palan et non plus directement.
Le tarquier a conservé jusqu’à aujourd’hui certains détails de construction archaïques, comme le capian sculpté (Mono 19) et la lisse de plat bord d’une seule pièce établie à l’extérieur du pavois, avec les tolets d’aviron situés à l’extérieur eux aussi; nous retrouvons ce système sur notre côte Atlantique, chez les Basques et jusqu’en Gironde. Le mât du tarquier est implanté à l’extrème avant du bateau, il est court et gros, sa longueur est égale au 3/4 de celle du bateau, lorsqu’il est démonté il repose sur le pont à bâbord. Le « balestron » de la livarde est plus long que le bateau et repose à tribord; dans cette position de repos les deux espars dépassent le bateau à l’avant. La ralingue faîtière de la voile se termine à l’avant par une boucle épissée qui embrasse le mât, cette boucle est hissée par une drisse courte tournée en abord à l’extérieur du pavois sur un croc de fer; l’amure de la voile est constituée d’un simple bout de filin amarré au mât; en général la voile n’est pas transfilée sur ce dernier. Le balestron est mis en place à l’aide d’une poulie simple frappée à mi-hauteur du mât. L’écoute de voile passe dans un trou dans le plat-bord à l’arrière. Une manoeuvre simple est fixée à l’extrémité du balestron.
La manoeuvre de cette voilure est simple et efficace: pour hisser la voile il suffit d’engager la pointe du balestron dans la boucle supérieure de la voile et de le pousser vers l’arrière. Pour cela, on engage le garant de la poulie de mât dans l’encoche du pied du balestron, la voile est prête. La manoeuvre inverse est instantanée, ce qui est très utile en cas de risée subite, la voile est alors diminuée de moitié d’un seul coup, il ne reste en place qu’une surface triangulaire en forme de voile de cape. Tous les bateaux ne portent pas de foc ; lorsque c’est le cas, le boute- hors passe dans un collier de fer fixé à l’étrave; l’écoute est passée dans un simple trou du pavois un peu en arrière du mât.
La voile à livarde est utilisée sur les petits bateaux côtiers dans les régions maritimes qui correspondent aux mers tyrrhénienne et ligurienne jusqu’à la frontière naturelle que constitue la presqu’île de Giens. Au-delà elle n’est plus employée à l’époque moderne qu’en combinaison avec la voile latine, comme nous le verrons plus loin, sous la forme de trinquet atarquié. Avec la motorisation, le tarquier a encore évolué dans le sens de l’alourdissement des formes et de l’élargissement; le type est supplanté progressivement par la barquette marseillaise. J’ai pu voir le dernier tarquier de forme ancienne à l’état d’épave, en 1964, dans le port de Saint Tropez.